jeanalbertmariotte

En vers et pour tous.

Miséricorde

Miséricorde

Pour le djihadiste, qui se croit justicier d’un prétexte religieux en répandant le sang d’un de ses frères humains…
Pour le casseur qui défoule sa colère contre les biens d’une société qui le nourrit en se laissant manipuler par des slogans partisans et haineux…
Pour le désespéré qui te blasphème à cause de son malheur…
Seigneur Jésus ! Tu nous dis d’aimer ces frères,
Seigneur pour ces frères paumés…  Miséricorde !

Pour l’imam, prêcheur de haine, qui envoie le djihadiste assassiner ses frères humains en l’assurant que c’est inscrit dans le coran,  sans même se rendre compte qu’il blasphème son dieu en lui usurpant le droit de vie et de mort sur les êtres humains,
Pour l’intellectuel qui par fanatisme philosophique antichrétien manipule à leur insu les politiques et les médias,
Pour le charlatan, qui prétend prévoir le futur en abusant de la crédulité des gens simples…
Seigneur Jésus ! Tu nous dis d’aimer ces frères,
Seigneur pour ces frères égarés…  deux fois, Miséricorde !

Pour le spéculateur en occasions louches à faire des profits, sans souci de ceux que cela dépouille…
Pour le jouisseur, pour le ripailleur qui s’abaisse à mettre en exergue ses défauts de sensualité afin d’étaler la notoriété de ses bons goûts…
Pour le critique artistique qui fustige celui qui ne trouve pas à son goût les sordides créations dans lesquelles il voit des œuvres qu’il baptise d’art…
Seigneur Jésus ! Tu nous dis d’aimer ces frères,
Seigneur pour ces frères dévoyés…  trois fois, Miséricorde !

Pour l’homme d’affaires pour qui ne compte que des « résultats » en ne se préoccupant pas des dérèglements que ceux-ci peuvent entraîner…
Pour le politique, dont le but principal est de paraître et de s’assurer la place la plus en vue et la plus lucrative possible…
Pour le puissant de la finance mondiale qui veut assurer la prédominance de la logique d’un consumérisme général sans souci de la pauvreté qui en découle…
Seigneur Jésus ! Tu nous dis d’aimer ces frères,
Seigneur pour ces frères fourvoyés…  quatre fois, Miséricorde !

Pour l’homme de bien, qui, dès sa naissance, a tout reçu d’une famille très chrétienne,
Pour cet homme qui est pratiquant, généreux, et bien intégré dans ton Eglise, tout en en critiquant les faiblesses,
Pour cet homme qui juge les autres en déplorant le mal qu’ils Te font,
Pour cet homme qui ose préjuger de ta miséricorde pour les autres hommes
Seigneur Jésus ! Tu nous dis d’aimer ce frère,
Seigneur pour ce frère si assuré…
O Seigneur,
Mais ce frère, c’est moi
Pitié, Seigneur Jésus ! Accorde-moi… cinq fois, Miséricorde !

5 mai 2017

Le chef de famille

Toute organisation humaine de quelle que nature, dimension, discipline ou esprit que ce soit, est obligatoirement commandée par un chef. Sans chef, même si l’organisation est bien structurée, elle dépérit rapidement, en particulier sous forme de conflits internes préjudiciables à son bon fonctionnement.
Les démocraties, républiques, royautés, empires, dictatures… démontrent au cours de l’histoire que cette règle est intangible, et ce, quelle que soit la méthode qui désigne le chef.

La famille, seule organisation naturelle et créée par Dieu comme telle, ne déroge pas à la règle. C’est donc la mission du chef de famille au sein de celle-ci qui nous intéresse particulièrement ici. Ceci nous amène à bien distinguer les rôles de l’homme et de la femme.

En nous rapportant à la Genèse, constatons d’abord, qu’il faut s’intéresser à la profondeur du symbole de l’image et non pas à se limiter à l’image elle-même.

Adam, l’homme, le chef, créé par Dieu et auquel Dieu avait confié la création, uni à Eve, la femme, la compagne, auquel Dieu avait confié l’union à Adam dans l’amour afin de fonder une famille, a chuté.

Sans plus accuser Eve d’avoir été séduite par la proposition du serpent – ce qui montre qu’elle a cédé plus à l’ambition et à la beauté du mensonge qu’à la vérité de l’interdiction de Dieu – Adam s’est lui-même accordé à sa femme pour accepter le marché de dupes. Ce faisant, il a gravement manqué à sa mission de chef. Et cette défection, malgré sa gravité, Dieu l’a acceptée pour ne pas détruire la famille telle qu’il l’avait créée.

La mission du chef de famille est de rechercher et de défendre, voire d’imposer les décisions qui poursuivent le meilleur dans l’intérêt de sa famille. On voit déjà ici, que cela peut être en opposition, voire en contradiction, tant avec ses désirs et ses goûts personnels qu’avec ceux de son épouse.

L’exemple le plus saint nous est donné par la Sainte Famille.

Bien qu’elle ait accepté la plus noble mission que Dieu pouvait demander à son « humble servante », la Vierge Marie n’a jamais été le chef de la Sainte Famille. A constater qu’elle n’a pas reçu d’ordre de Dieu mais une demande d’adhésion à son miraculeux plan pour sauver l’humanité.

Saint Joseph, au contraire, à reçu directement ou indirectement des directives nettes.
– « Joseph, ne crains pas de prendre Marie pour épouse… ». Cet ordre n’était-il pas en contradiction avec ses convictions personnelles ? Etre le père d’un enfant non engendré par lui. Et qu’en est-il vraiment de cet enfant ?
– Un édit de l’empereur Auguste qui l’oblige à emmener Marie, enceinte, de Nazareth à Bethléem… Ne pouvait-il y aller seul ? Et en considérant les moyens de l’époque, sans connaître les conditions de vie du lendemain : pas de place à l’auberge, l’étable…
– « Joseph, prends l’Enfant et sa mère et fuis en Egypte… ». Pourquoi en Egypte, encore plus loin de Nazareth. Ne pouvait-on pas y revenir par un chemin détourné… ?
– « Joseph, reviens à Nazareth… ».

Oui, vraiment Saint Joseph est l’archétype même du chef de famille. Il prend les décisions d’obéir, sans doute, aux ordres mais parce que ces ordres sont imposés par les circonstances du moment dans l’intérêt de sa famille. Et nous voyons bien que la Sainte Vierge s’est entièrement soumise aux décisions que son mari était obligé de lui imposer.

C’est donc bien à l’homme qu’est dévolue la mission de chef de famille. Il lui revient de prendre les décisions qui engagent la vie de celle-ci ; mais particulièrement et uniquement celles nécessaires au bien de sa famille. Bien souvent, il lui faut convaincre son épouse, parfois même ses grands enfants.
La « soumission » de la femme n’est pas servile pour autant. Dans un ménage bien uni elle est même souvent collaboratrice. C’est dans cet esprit que Saint Paul écrit : « Femmes, soyez soumises à vos maris… ». On est très loin des soumissions contraignantes et avilissantes des femmes que certaines religions ou civilisations autorisent à leur mari.

De nos jours, qu’en est-il ? Sans porter de jugement sur les familles dont l’homme n’a pas assumé sa mission de chef, il faut bien reconnaître que nombre d’entre elles en ont subi des conséquences désastreuses…

L’exemple de la Sainte Famille est particulièrement convaincant. Dans l’amour conjugal et tout en se comprenant, il est nécessaire que le mari et son épouse assument chacun leurs rôles respectifs ; il en va de l’équilibre et du bonheur de leur famille.

Je ne mourrai jamais

Je ne mourrai jamais.

Non ! Je ne mourrai jamais.
Comment puis-je affirmer cela ?.
Tout simplement parce que je ne veux pas mourir.

Il ne s’agit pas de jouer sur le sens des mots. Il s’agit de les comprendre dans toute l’acception de leur terme et surtout d’en sublimer la valeur.

Je ne suis pas limité au point de consentir à l’orgueil imbécile qui prétend que je suis venu du néant et donc que je retournerai au néant ; pas plus que de croire qu’étant né d’une origine humaine particulière mais indéfinie, je disparaitrai dans une mort non moins particulière et pas plus définie.

Comme beaucoup d’hommes, je crois au Créateur que j’appelle Dieu, mais au Créateur parfait.

Dieu a créé, crée et créera. Et de la perfection de sa création, rien ne peut disparaître. En effet, ce serait un non-sens qu’en tant que Créateur parfait, il soit aussi destructeur de ses propres œuvres. Dieu n’a besoin ni de brouillon ni d’esquisse qui nécessiterait des retouches. Il crée immédiatement et parfaitement. Il est le Bien par excellence.

Malheureusement le Mal existe ; les nombreux malheurs dont nous sommes accablés nous et notre monde en témoignent. De plus, l’Ecriture nous l’apprend. Qu’on le nomme Lucifer, Satan ou autre, qu’il prenne la forme d’un serpent, qu’importe ! Ce Mal est un avatar de la création qui veut supplanter le Créateur.

De ce fait, ce Mal n’a qu’un but : s’opposer au Bien de toutes ses forces. Pour lui, il s’agit donc de détruire, non pas le Bien puisqu’il en est incapable, mais détruire les œuvres du Bien.

Détruire donc la Création par tous les moyens des plus brutaux aux plus perfides, des plus insidieux au plus spectaculaires, des plus secrets aux plus officiels, voilà bien les œuvres du Mal.

Certains diront qu’il y a bien destruction de l’être humain puisqu’au vu des apparences notre corps meurt bien. C’est mal comprendre le sens des mots :

– mors en latin veut bien dire mourir, c’est-à-dire cesser de vivre, casser et détruire la vie en quelque sorte, détruire l’être créé.
– décès, en revanche, vient du latin decessio qui est l’action de s’éloigner, de partir.

Tout d’abord, réfléchissons un peu.

Imaginons que le Créateur n’ait pas prévu ce passage, donc cette transformation.
Lui qui a dit : « Croissez et multipliez », nous lui obéissons en croissant et multipliant.
Ne cherchons pas à savoir la destinée humaine telle que prévue à l’origine avant l’irruption du péché sur la terre. C’est hors de nos possibilités intellectuelles. Mais depuis la chute de l’homme, si le décès n’existait pas ; si nous étions maintenus dans notre vie terrestre – nonobstant notre évolution corporelle – combien serions nous sur terre depuis sa création ? Si le Créateur n’avait pas prévu cette transformation, à coup sûr, une centaine de milliards, voire plus… La vie serait devenue impossible depuis longtemps, faute de place, de nourriture…

Par les apparences de disparition, le Malin cherche à nous faire croire que notre décès est une destruction. Et il cherche à faire de nous des morts.

Or, référons nous à ce que dit le Seigneur Jésus sur le Jugement Dernier : A ceux placés à sa droite : « Recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la Création du Monde ».
« Depuis la Création du Monde » ; c’est donc bien que cette Création existe telle qu’elle a été prévue avec la transformation nécessaire de nos êtres, corps et âmes.

Notre décès est un départ. Partir où ? Dans la Création, bien sûr. Sous quelle forme ? A nos seules pensées terrestres, nous ne pouvons le savoir.
La belle image du voilier s’éloignant et disparaissant à l’horizon pour un port invisible…

Aussi, comme
je crois à la résurrection de la chair
je crois donc à la vie éternelle.

donc je ne mourrai jamais.

Et voilà pourquoi, lors de mon décès, je veux qu’on livre mon corps à la nature, ce qui exclut toute incinération.

De la tenue et du langage

L’immense et belle plage de la Côte Fleurie
Est un havre de paix propre à la songerie.

Certain jour ressentant le besoin de désert
Mes pas me promenant aux roches des Vaches Noires
Je vois venir vers moi provenant de Villers
Un couple qui, de loin, n’avait rien de notoire.
Lui de forte apparence, cheveux courts, jean serré
Un torse de lutteur, la démarche assurée
Elle, queue de cheval au vent, short court, nus pieds
Et le ventre arrondi … rien de particulier !

Regardant l’horizon, tout à ma rêverie
Je ne m’aperçois pas que leur pas les rapprochent
Du rocher sur lequel j’ai posé ma sacoche.
Et, en tournant la tête, mon regard surpris
Découvre tout à coup, ébahi, stupéfait,
Que la proximité a changé les effets.
Sous la queue de cheval, un menton en broussaille
Au cou un gros collier, un ventre de futaille
M’obligent à rectifier mon jugement sur Elle…
Quant à Lui, les rondeurs du teeshirt gonflé
Fait deviner deux seins, que dis-je, deux mamelles
Que du sexe attaché, nul ne peut en douter.
Le tout bien étalé sur mon morceau de plage…
Inutile d’insister à dépeindre l’image !
Dominant ma surprise, et mes idées formelles
Je pensai, à leurs mises si peu conventionnelles
Qu’ils étaient étrangers méritant indulgence
En versant leurs euro sur nos plages de France.

« Quand qu’cest qu’tu veux manger ? » dit le porte mamelles
A la panse ventrue mollement affalée.
Ai-je bien entendu ce propos de gamelle ?
Hélas ! Cent fois hélas ! ce sont bien des français.
Si mes sens optiques étaient déjà choqués,
Que dire de l’ouïe brusquement agressée !
Et ce n’est rien de dire du langage vulgaire,
S’il n’y s’accumulaient les fautes de grammaire.
L’espèce au masculin, les profits « pécuniers »
Des mots ésotériques de troquet de banlieue,
Sans compter les abus d’un franglais déformé.
Torture des oreilles et supplice des yeux !

J’aurais voulu quitter ce plaisant voisinage
Tout en restant discret pour éviter l’outrage
Mais fortement pressé par leurs inquisitions
Il me fallut, bien sûr, réfuter leurs questions.
Pour ne pas être mufle, je dus, contre mon gré
Répondre à quelqu’assauts de leur civilité,
Refuser poliment la part de camembert
Généreusement offerte en guise de dessert
Et siffler au goulot la goulée de coca
Qu’ils jugeaient nécessaire à couronner l’encas.

Quand enfin libéré de cette compagnie
Je reprends le chemin ramenant au logis,
Je dois presser le pas car la marée remonte.
Dans ma tête rêveuse, pensant à Sélinonte
Fortement dégradée par les guerres puniques
J’en arrive à juger que des mœurs cyniques
Entraînent dans des modes où le laisser-aller
Dégrade avec l’allure la façon de parler.

Nul ne juge qu’à-présent la langue de Molière
Dans nos échanges soit le seul et bon critère.
Mais faut-il pour autant, en France, dégrader
La grâce de la langue, la beauté des effets ?
Sans imiter les chantres de l’Art linguistique,
Sans copier les artistes de la Haute couture
Ne peut-on enseigner à l’école publique
Un peu de distinction en paroles et parures ?
Quand l’élite s’abaisse à paraître ordinaire
Le peuple a peu de chances de sortir du vulgaire.

Sous le soleil de Marseille

Quelle chaleur ! On étouffe à Marseille en cette fin juillet.
Dans ces petites rues étroites proches de la rue de Paradis, c’est l’enfer. Je m’y traine lentement, crevant de soif…

Ayant fait quelques courses, je passe devant un petit bistrot large comme une porte cochère où est attablé un consommateur ; avachi sur une chaise trop étroite pour son gabarit, devant un pastis bien frais, posé sur la seule table et sous le seul parasol investissant la rue, il contemple la vie qui l’entoure avec l’œil perçant du marseillais qui cherche un trainard avec qui baratiner…

« Hé ! me lance-t-il. Il fait soif. Venez donc prendre un verre ».
Peu habitué à ce genre d’accostage, mais dévoré par un palais en feu… j’accepte sa proposition et je m’assois en face de lui.
« Dodelane, Jules Dodelane » dit-il, en me tendant la main.
« Baptiste Tamoriet » dis-je, en la lui serrant.
« C’est l’heure du pastis. Vous en prendrez bien un ? ».
« Je vous avoue que je préférerais une limonade ; j’ai tellement soif… ».
« Apporte une limonade à Monsieur », lance-t-il à la serveuse du bar.
En le remerciant, je le dévisage. Inutile de le décrire : Raimu/César dans le film de Pagnol. Un vrai marseillais, quoi.

« Vous êtes parisien ? ».
« Euh ! Pas vraiment ; mais j’habite Paris ».
« Oui, ça se voit bien… Et moi je suis de Marseille depuis 80 ans », dit-il en riant. « C’est vous dire si je connais tout de cette ville. Depuis son origine jusqu’à aujourd’hui ».
Je hoche la tête avec le sourire d’admiration qui convient, face à une telle assertion … Je m’attends à tout…
Il continue : « Oui bien sûr , vous à Paris, vous êtes de la capitale. C’est une grande ville ; mais c’est un peu trop la capitale du nord. Pour nous, à Marseille, c’est loin. Et puis, je vais vous dire : notre ville est grande et belle et elle nous suffit. Pour moi, c’est la capitale du sud… ah ! ah! ».
Je me garde bien de chercher à le contredire, d’autant plus que la serveuse vient de m’apporter un grand verre de limonade bien fraîche. Je déguste la première gorgée, tandis que Dodelane poursuit :
« D’ailleurs, voyez-vous, Paris, toute capitale qu’elle est, on ne sait pas grand-chose de ses origines. Lutèce, Lutèce, c’est bien joli ; mais on ne connait même pas le nom de son fondateur. Alors que nous, à Marseille, on a une bien plus longue histoire ».
« Peut-être bien…», acquiesçais-je sans chercher à le contredire. Je bois une deuxième gorgée. En la savourant, je décide de me laisser faire… ; et il commence sa longue histoire.

« Six cents ans avant Jésus-Christ », dit-il en pointant l’index vers le ciel comme pour le prendre à témoin. Il insiste : « Six cents ans avant Jésus-Christ – donc bien avant que l’on parle de Lutèce – il y avait dans la région, un chef ligure qui s’appelait Naan (ou quelque chose comme cela). Ce chef possédait une grande région. L’Estaque, le massif de l’Etoile, le mont Carpiagne et le Pilon, jusqu’à la montagne de Marseilleveyre. C’est dire s’il était important… ».
« Mmm mmm », grommelle-je, en pensant que de l’esplanade de la Bonne Mère, on découvre en un seul regard circulaire, ce « vaste » territoire en entier…
« Il avait une fille qu’il avait nommée Gyptis. Un joli nom, comme vous voyez ! Elle était belle comme l’aurore qui pointe, alors que quelques étoiles brillent encore à l’occident. Comme elle était encore nubile mais quand même en âge de se marier, son père se demandait à qui l’accorder.

C’est à ce moment qu’un navire entra dans le Vieux Port. Ce navire était commandé par un Phocéen du nom de Protis et il cherchait un endroit où établir un comptoir de commerce.

Protis était un grec d’Asie Mineure – aujourd’hui, on dirait un libanais, quoi. Je ne vous dis pas le commerçant… Comme tous ces gens du Moyen-Orient , il était capable de vendre n’importe quoi à n’importe qui, peut-être même d’écouler un stock de mirlitons à la sortie d’un cimetière… On raconte qu’en suivant la côte il avait d’abord jeté l’ancre dans la calanque de Sormiou. Il y avait là un petit village de pauvres pêcheurs auxquels il avait essayé de vendre des amphores pleines d’air, en leur disant que ça pouvait leur servir de bouteilles de plongées ».
Evidemment, j’éclate de rire…
« Eh oui ! C’est vrai que c’est une galéjade » dit-il en riant également. « Mais on a quand même retrouvé des amphores au fond de l’eau… mais pas de plongeurs… ». Nouveaux éclats de rire, bien sûr ! « Enfin, bref, il ne voyait pas d’avenir de négoce à Sormiou ».

« Il continue donc à longer la côte, quand, oh ! surprise !, il découvre un petit golfe extraordinaire. Assez grand pour y accueillir une flotte de l’époque, orienté de l’orient vers l’occident, une passe pas trop large pour le protéger des tempêtes, même pas chahuté par le mistral… enfin, quoi, le miracle. Et il jette l’ancre.
« Il commence à faire de la réclame – aujourd’hui on dirait de la publicité – à attirer les commères des villages voisins et à leur vendre toutes sortes de bataclan, des pacotilles, té.
Il faut se mettre bien avec les autochtones si on veut être admis dans leur société « commerciale », pas vrai ? Tant et si bien que cela en vient aux oreilles de Naan qui décide de faire sa connaissance. Bref, ils se reçoivent et tout va très bien entre eux ».

Je m’étire un peu sur ma chaise et déguste une nouvelle gorgée de limonade. Monsieur Dodelane, toujours tout à son histoire, continue.

« Comme c’était le temps de marier sa fille Gyptis, Naan voulut se plier aux usages du temps. Il lui fallait organiser un grand banquet et comme il voulait faire bien, il avait besoin de tas de choses genre colifichets, pacotilles, produits d’importation, etc.
Il eut donc l’idée de s’adresser à Protis en tant que fournisseur, ce que le phocéen fit avec plaisir, évidemment. L’histoire ne dit pas si Protis lui fit une ristourne… mais toujours est-il que Naan pensa bon de l’inviter au repas de noces. C’était de bon commerce, n’est-ce pas ?

« Tous les préparatifs du banquet étant faits, les convives arrivent et la fête commence.
A cette époque, pour sceller le mariage – au moment où le père le demande à sa fille – la jeune fille se levait et devait choisir son époux. Et comment, pensez-vous ? Tout simplement en déposant une coupe devant l’élu de son cœur. Vous pensez si c’était le grand moment de la cérémonie. C’était le suspense, comme on dit aujourd’hui.
Et au dessert, Naan fait signe à sa fille de déposer la coupe devant le mari qu’elle choisit.
La jeune fille se lève, prend la coupe et la dépose devant… Protis, au grand dam de quelques prétendants ligures, vous pensez ».
« Bref ! Le choix de Gyptis est son choix, et il n’y a rien à redire là-dessus…

« La surprise passée, Naan qui avait la tête près du bonnet, se dit en lui-même : « C’est bien joli, tout ça ! Mais où va-t-il m’emmener ma Gyptis ? Il faut que je trouve un moyen pour qu’il demeure ici, le Protis. Sans l’empêcher d’aller faire un peu de commerce ailleurs de temps en temps, il faut qu’il en fasse ici principalement.
« Alors, plutôt que de lui donner en dot de l’argent et des bijoux, il appela les mariés scella leur union et leur dit : « Je vous donne en dot le Vieux port, la Canebière, la Bonne Mère et le Pharo et, en plus, comme corbeille de noces, le Panier ».
« Vivat des convives ! Tout le monde est content, et quelques mois après naissait le premier vrai petit marseillais ».

« C’est une très belle légende », dis-je admirant les talents de conteur de mon « hôte ». Et je m’apprête à m’en aller… Mais il me retient et continue :

« C’est plus qu’une légende ; c’est de l’histoire ».« Oui ! Certainement »… Je ne veux pas le contrarier. Et il poursuit aussitôt…

« Voyez-vous, Monsieur Tabouret ».« Tamoriet » coupai-je un peu sèchement. « Pardon ! Tamoriet, voyez-vous cette histoire est une histoire de tous les temps… Parce qu’on s’imagine que c’est l’homme qui choisit sa femme »
Petit moment de silence, puis il poursuit :
« C’est faux !» dit-il en insistant bien, l’index pointé dans ma direction. Et retournant son doigt vers lui : « L’homme demande à la femme qu’elle le choisisse : nuance ! ».

Un court instant, j’admire cette philosophie… mais pas longtemps, car il reprend :

« Regardez ! Quand le Bon Dieu a crée Adam…

Aie, aie, aie, je me sens mal : où me suis-je fourré en acceptant ma limonade…

« Quand le Bon Dieu a crée Adam, Il s’est dit : ce pauvre bougre, je ne peux pas le laisser seul ; il va s’embêter ; je vais lui donner une compagne …
Et hop ! Il l’endort, il lui fait une césarienne et il crée la femme. Tout le monde connait l’histoire… Et qu’est-ce qui s’est passé après ? Vous le savez comme moi. Pour bien séduire son Adam, elle lui a offert une pomme. Elle était maligne, Eve. Mais il faut dire que, mal conseillée, elle s’est trompée de pomme. Du coup, quand Adam l’a avalée, elle lui est restée là » dit-il en se serrant brusquement le cou de sa main noueuse.
Et la blonde Iseut, avec son filtre d’amour… on peut citer mille cas ».

Je me demande où il veut en venir… il poursuit.

« Eh bien ! Gyptis ? Qu’a-t-elle offert à son Protis en lui tendant la coupe ; je vous le demande ?»

« ??? ».

« Ben, du pastis, évidemment ».

Et sur cette galéjade, je prends congé de Monsieur Dodelane, non sans régler les consommations qu’il avait généreusement commandées…

LE CHEMIN DE CROIX DU LARRON CONVERTI

 

Qu’un larron, – donc homme n’ignorant pas sa mauvaise conduite, car sachant qu’elle a fait beaucoup de torts, – supplicié, pendu à une croix, – donc à sa dernière extrémité et sans espoir de rémission – se confie brusquement à un autre supplicié dont le sort apparaît pire que le sien, me semble chose insensée. Si l’on s’en tient à un tel raccourci, son histoire est absurde. Humainement, que pouvait-il en attendre ? Absolument rien ! Je pense au contraire, que celui que Saint Luc nous montre comme le “bon” larron, a dû être amené à réfléchir au cours d’événements préalables dont il a été témoin ; et de toute manière lui aussi a suivi son chemin de croix, chemin de croix parallèle à celui du Christ. C’est certain !

 

Un larron n’est pas un rhéteur. Son langage est direct et populaire. Voici donc comment il m’a raconté son histoire.

 

 

 

 

 

« Tout le monde en parle dans Jérusalem de cet homme qui ne fait que du bien. On l’appelle Jésus. Moi, évidemment, c’est pas tellement le genre de type que je fréquente. D’ailleurs, il y a tellement de gens qui l’entoure qu’il n’a pas besoin de moi. Il ne parle que d’amour, de respect de l’autre,… On ne peut pas être voleur-à-la-tire et dire qu’on respecte les autres. Ce serait hypocrite ! On ne peut pas avoir tous les défauts. Mais, quand on passe son temps à roder près du temple en recherchant à plumer un pigeon, on tombe forcément dessus un jour ou l’autre. On dit qu’il guérit tous ceux qui lui demandent. Moi, je vais bien. Alors je n’ai pas besoin d’être guéri. N’empêche qu’il m’a drôlement rendu service l’autre jour ! Il a piqué une rogne pas possible. Incroyable ! Un gars si doux, d’habitude ! Il s’est mis à fouetter les marchands, avec une corde s’il vous plaît, à casser du changeur de mitraille, à chasser les bestiaux… ah ! quelle pagaïe ! quelle rigolade ! Naturellement, j’en ai profité pour m’en mettre plein les poches. Pensez donc ! Il n’y avait qu’à se baisser et à ramasser. Une vraie manne, comme auraient dit nos vieux !

Et puis ! c’était sans danger et c’est toujours ça que les romanosses n’auront pas. Parce que les romanosses, je m’en méfie comme de la peste. Sous prétexte de “pax romana”, comme ils disent, ils se faufilent partout et vous tombent dessus quand on s’y attend pas. Ils contrôlent tout le temps. Quoi ? je n’en sais rien parce que je me suis jamais fait piquer. Pas fou ! non ! Mais pour des gars comme moi, il faut toujours faire gaffe. C’est gênant pour le boulot.

L’autre jour, il y avait comme une fête. Une populace folle dans les rues, qui avait l’air de chahuter dans la rigolade. Ils criaient tous : « Hosannah ! Hosannah ! » . Je me demande bien ce qu’il se passe. Alors je m’approche en me disant : « Jeannot ! Ouvre l’œil ! Il y a peut-être du blé à glaner ». Mais je ne vois rien que des braves types, des femmes, des gamins, du petit populo qui ont l’air tout joyeux. Et ça braille, et ça discute, et ça rigole. Plus loin, là-bas, il y a un groupe énorme agglutiné à je ne sais pas qui. Ils sont tous tournés vers un gars que je distingue mal. Je joue des coudes. Je m’approche, et qu’est ce que je vois : Jésus. Oui ! Jésus. Bien sûr ! Je le reconnais. Il se balade dans la foule monté sur quoi ? je vous le donne en mille : sur un bourricot. Oui ! Sur un bourricot. Ah ! il ne joue pas les importants. C’est plutôt cocasse. Et tout le monde l’acclame et crie : « Vive Jésus ! Vive le fils de David ! Hosannah ! ». Au début, je trouve ça marrant. Puis je me dis : ce Jésus, tout le monde l’acclame parce qu’il est fils de David ? Mais David, c’était un roi. Un roi drôlement gonflé ; même que tout gamin, avec une fronde, il a caillassé un gros cochon de philistin qui cherchait des crosses à nos vieux. Quand j’étais gosse, le rabbin de mon quartier nous en a raconté des histoires sur ce roi là. C’était un type fabuleux, le David. Alors, Jésus, si c’est un de ses rejetons, il va peut-être en faire autant. C’est peut-être un roi, lui aussi, et qui va dégommer Hérode et ses sbires, et qui va nous remettre de l’ordre dans la nation en foutant les romanosses dehors. Ça, ça serait bougrement chouette. Oh ! je dis ça pour le principe, parce que, à vrai dire, je vois pas ce que ça arrangerait dans mes affaires. Généralement, plus il y a de pagaille, plus c’est propice pour moi… Mais, pour en revenir à Jésus, je me dis : « Quand même ? un roi sur un bourricot ? Il y a de quoi vous en boucher un coin. Ah ! il ne joue pas les fiers à bras. Mais, après tout, pourquoi ne serait-il pas roi puisque tout le monde a l’air de vouloir qu’il le soit ? Quand le peuple le veut… »

Ce qu’il y a de comique, c’est que tout ça me trottait dans la tête, et quand je suis rentré à la maison, j’ai rigolé… je n’avais même pas pensé à faire la poche à un badaud.

Mais après tout, tout ça ne m’intéresse pas beaucoup. Dans mon métier, il ne faut pas philosopher. Plus on barbotte, mieux on vit ! j’aime bien voler un gros, un de cette espèce de bouffis plein aux as qui a toujours l’air de vous toiser et vous prendre pour… vous voyez ce que je veux dire,… Généralement, ça rapporte gros, à condition de ne pas se faire pincer. Bien sûr ! c’est plus risqué que de s’en prendre à une vieille qui n’a rien dans le sac. Car ils sont bien protégés ces bandits ! Un trompette devant, des froussards obséquieux tout autour et des argousins bien planqués qui épient tout le monde d’un sale œil. Avec ma tronche de défroqué, il n’est pas facile d’approcher ! Quant à se faufiler dans leur palace, bernique ! Beaucoup trop risqué ! Mais, quand j’arrive à en soutirer un, alors là, c’est vraiment exaltant !  En plus du boni, la performance, quoi !

Tiens, l’autre jour une poignée de ces bouffis cherchait des ennuis au guitcheux. Le guitcheux, c’est un pauvre type qu’on appelle comme ça parce qu’il a pas eu de veine, question physique. Il était guitche, aveugle, quoi ; ses yeux étaient comme du lait ; depuis que sa mère l’avait mis au monde, il ne voyait rien du tout. Il ne pouvait rien faire, évidemment. On le traînait toujours à la piscine de Siloé, parce qu’il croyait qu’un jour, l’ange qui en remue la flotte lui ouvrirait les mirettes. Encore un histoire de rabbins ! Ils disent que quand l’ange se met à barboter, le premier qui plonge dans le bain est guéri. Mais, vu qu’il ne voyait rien, le guitcheux, il n’arrivait jamais assez vite pour se flanquer le premier à la patouille. Alors, il était là, à faire la manche. Parfois on discutait ensemble ; ça nous passait le temps ; et puis, quand “ma journée” avait été bonne, je lui refilais quelques piécettes. Faut bien que tout le monde vive ! Eh bien ! ces gros lards l’enquiquinait parce que tout d’un coup, il s’est mis à voir. Ouais ! il s’est mis à voir et à gambader, le guitcheux. Ne me demandez pas comment ça s’est passé. C’est vrai que quand je l’ai vu se pavaner sur ses guiboles, j’en suis resté comme deux ronds de flanc. Mais après tout, c’est ses oignons !  Et les gros lui disaient : « Qui t’a fait ça ?». Il en savait rien le pauvre gars, vu qu’il n’a pas vu que c’était Jésus, puisqu’il ne voyait pas. Comme si ça les gênait que le guitcheux zieute comme un aigle qui lorgne un lapereau. Qu’est qu’ils en avaient à faire : mais ces gars là, ça veut tout savoir : et comment, et pourquoi et qu’est ce que c’est… Il parait même qu’ils ont enquiquiné ses parents. Mais après, il a revu Jésus, et quand il a su ce qu’il lui avait fait, il leur a dit :« C’est Jésus qui m’a fait ça ! ». Ils ont rien voulu savoir et l’ont foutu dehors. Mais moi, je l’ai revu, le guitcheux. Il m’a tout raconté. Vraiment, je me dis que pour faire des choses pareilles, ce Jésus, il a un don. Oui ! vraiment, un gars comme ça, c’est pas un gugus… Et puis, c’est drôlement sympa de sa part, parce qu’entre nous, il n’y a pas beaucoup de gars à s’intéresser à un guitcheux mendigot. Pas vrai ?

Mais à chacun sa chance ! Si le guitcheux peut se balader tranquillement, moi, je me suis fait pincer. Pourtant, j’avais une belle occase et je croyais avoir bien calculer mon coup. Sans cette patrouille de romanosses qui faisait du zèle… En me promenant près du temple… tiens, c’était jeudi… je remarque un gros lévite qui en sort. Il est accompagné d’une bande d’étudiants qui s’empressent autour de lui, – plus ils en ont autour d’eux, plus ils sont contents -. Je le vois donner à un mendiant estropié deux piécettes. Très ostensiblement ! Il venait de les tirer d’une bourse grosse comme un melon mal dissimulée sous une étole large comme le Cédron. Je n’en croyais pas mes yeux. Je réussis à m’approcher du groupe et à m’y intégrer comme si j’en faisais partie. Je commence à jouer les admirateurs, et à le complimenter comme le font tous ses “élèves” et, jouant un peu des coudes, j’arrive petit à petit à le côtoyer de près. Je réussis à faire un bon bout de chemin à son côté, et au milieu de tous les compliments qu’il entendait, il était en confiance ; on passe une belle place, on emprunte la grande rue commerçante et quand on aborde le quartier des petites boutiques avec tous ses petits passages en souk, j’augmente mes parlottes tout en guettant le moment propice. Au moment où on arrive près du bazar du vieux Mardochée – celui qui sait si bien vous débiter tout un tas de casseroles et de bimbeloterie pour dix as quand ça n’en vaut même pas deux – on croise une petite ruelle biscornue bien connue de tous les potes. Je lui soutire brusquement sa bourse, bouscule ses admirateurs et me carapate dans le dédale. Pensez que je connais tout ça par cœur. Ça aurait dû marcher, d’autant que je n’en étais pas mon coup d’essai. Mais une patrouille de ces satanés romanosses s’était fichue en embuscade juste au petit croisement de la ruelle suivante sans que je les vois. En entendant mes galoches et les gueulantes du plumé et de son escorte, un de ces bidasses se planque et me glisse sa lance juste devant les pinceaux. Ce n’est pas gros, une lance ! Evidemment, je ne l’ai pas vue. Eh, vlan ! me voilà le museau à embrasser le pavé ! Avant même que je réalise ce qui m’était arrivé, je sens comme une patte d’éléphant m’écraser les rognons et la pointe d’un pilum entre les deux omoplates. Si je fais un geste, il me larde comme un gigot. A moitié dans les pommes, je pense : « Aïe, aïe, aïe, Jeannot ! ça y est ! Ce coup-ci, t’es fait ! ». Naturellement j’ai lâché la bourse du richard qui a éclaté comme un melon avarié. Les gamins se précipitent… un vrai plaisir… ; mais moi, en un clin d’œil, je me fais encercler par les légionnaires et les badauds. Ah ! ils se marrent bien tous : « Ça y est, on en tiens un ! Faut s’en débarrasser de cette engeance ! Faut les zigouiller, tous ces larrons ! ». Qu’est ce que je n’entends pas ! Je n’en mène pas large. D’autant plus que tous ces faux-jetons ne se gênent pas pour me refiler des coups de tatane au passage. Aussitôt, tout ce beau monde, la patrouille de romanosses, le gros bouffi, son escorte d’admirateurs et tout le populo démago se font un plaisir de m’“accompagner” joyeusement en cabane. Je me dis : « Tu vas en taule ! Quelle honte ! ». Jamais, je n’y étais allé. Forcément puisque je ne m’étais jamais fait piquer. Je pensais qu’ils allaient m’enfermer dans un petit caboulot pas propre, à côté du palais d’Hérode où ils hébergent les gars qui ne leur plaisent pas. Un vieux copain qui s’appelle Judas – des Judas, y en a partout – , et qui s’en est tiré m’a dit que ce n’était pas reluisant. Et nous voilà partis ! On passe devant la taule d’Hérode. Tiens ! on ne s’arrête pas ? Eh, bien ! voilà ! Vu que je suis piqué par les romanosses, vous ne savez pas où ils m’emmènent ? dans le somptueux palace à Ponce-Pilate ! Rien que ça ! Ah ! les abords sont chouettes. Du marbre partout ! des colonnes bien sculptées, des statues de pépés girondes et de grands intellos imberbes drapés dans leur toge… Et ça grouille là-dedans. Il y en a partout. Des casqués, des cuirassés, des galonnés, des tondus, des ilotes, sans compter les nanas qui se donnent des airs de princesse. Evidemment, tout ce beau monde se paye ma figure au passage. J’ai envie de leur dire : « Profitez-en ! le spectacle est gratuit ! ». Mais je suis tenu en laisse par un gros costaud qui a des mains comme des étaux et qui me refile une beigne sur la coloquinte chaque fois que je l’ouvre. Dans ces cas là, on s’écrase !  pas vrai ?

Sans même qu’un quidam m’interroge, ils me passent à la bastonnade – il parait que c’est la mode chez les romanosses. Ah ! les vaches ! Vingt coups d’une saloperie de martinet plein de clous ! Là, je déguste. Je sens le sang de mes rognons couler sur les fesses. Ah ! les bandits ! Puis, comme ils se doutent bien que je me carapaterai à la moindre occasion, ils me mettent aux poignets des bracelets de ferraille reliés par une chaîne, s’il vous plaît, et la même chose aux pieds. Ah ! ils ne reculent pas devant la dépense quand ils ont peur qu’on fasse la belle. Et ils me poussent dans une piaule sombre et dégueulasse ; ça fait déguerpir les locataires : des gros rats bien velus… J’ai mal partout ; je suis rompu et tellement abruti que je m’affale par terre sur les trois brins de chaume qui servent de plumard.

Combien de temps ai-je dormi ? Je n’en sais rien. Mais à mon réveil, la nuit commence à tomber. Le cachot n’est pas profond. Par un trou à hauteur d’homme, bien obturé par une grille à gros barreaux, entre un peu de lueur et d’air frais. Mais il fait tellement sombre que je ne me suis même pas rendu compte qu’il y avait un collègue dans la turne. Il grommelle je ne sais quoi. On se présente. C’est le grand Levi, l’Arnacas. On le surnomme comme ça, parce que c’est un jules de l’arnaque qui a une belle réputation dans le milieu. Un orfèvre en la matière qui a de la méthode et du baratin. Il ne s’embarrasse pas de beaux sentiments et il n’hésite pas à castagner le pigeon quand il lui résiste ! Bref ! un caïd de haut bord !

« Toi aussi, tu t’es fait gauler ? ». Il s’était fait pincer deux jours avant dans la villa d’un gros centurion dans la banlieue chic. Avec un copain, ils avaient renifler l’affaire du l’année, car l’officier se mettait les publicains dans la poche en fermant les yeux sur leur petit commerce… moyennant finances évidemment. Il y avait gros à espérer. Dommage pour lui ! il n’avait pas prévu tous les pièges de la cagna du galonné et surtout que ses esclaves étaient autant blindés que leur chef. Son copain réussit à filer juste à temps, mais quand il a voulu le suivre en sautant par la même fenêtre, il s’est cassé la gueule. Vite cerné, avec en prime une meute de molosses aux fesses, il a bien fallu qu’il capitule. On ne fait pas le poids devant une demie douzaine de pilum qui vous tendent leurs pointes. Bref, tous les deux, nous voilà dans les beaux draps du procurateur…

« Qu’est-ce que tu crois qu’il vont faire de nous ? » lui dis-je. Il grommelle : « J’sais pas ».« lls vont quand même pas nous foutre aux galères ? ».« J’sais pas ».  Pas causant, le collègue ! Mais, à sa gueule de renfrogné tuméfiée par plein de beignes, je vois qu’il n’est pas optimiste.

Je me mets à regarder dehors. Derrière les barreaux, on voit une grande cour. A gauche l’entrée bien fermée par une grille, et à droite, un grand escalier qui mène à une petite esplanade surélevée juste devant le portail du palace au grand romanosse. Cette esplanade, je l’ai bien repérée ; c’est celle qui donne sur le prétoire du Ponce. Tout le monde sait que c’est là-dedans qu’il juge les types qui ont été pris par ses sbires. Aïe, aïe, aïe, demain ça va être notre tour. Rien que d’y penser, ça me fout le bourdon…

Tout est calme. Il ne fait pas chaud. Dehors, ils ont allumé un grand feu près de la grille. En le regardant, ça me ravigote un peu. La nuit est noire maintenant, et tout le tumulte qui régnait à mon arrivée s’est arrêté. Quelques gars, là bas, discutent près du feu avec les gardes. Quelques flambeaux sur la placette éclairent deux sentinelles blindées de cuir et de ferraille. Bref ! pas grand chose à voir ! Je me recouche en essayant de dormir.

Tiens ! Voilà le coq qui joue de la trompette ! Il ne manquait plus que lui ! Le voilà qui s’en mêle, lui aussi. Il ne pourrait nous laisser roupiller, cet emplumé. Après tout, tout ça ne le concerne pas ! Il fait son boulot. Et puis, il est toujours à l’heure. Le jour va arriver. Ça va nous réchauffer un peu. 

Peu de temps après, un bruit de ferraille à la porte nous fait sursauter. Des chaînes dégringolent et la lourde s’ouvre. A la lueur de leurs torches, je vois un décurion flanqué de quatre énormes troufions. En un clin d’œil, ils nous débarrassent de nos chaînes et nous font signe de les suivre. Deux malabars encadrent l’Arnacas. Idem pour bibi ! Pas question de faire un pas de travers ! On prend un étroit couloir, puis un petit escalier qui nous mène dans une petit turne pas chouette. Je reconnais que c’est la qu’ils m’ont mis la bastonnade. Ça pue là-dedans, à vous écœurer. Des odeurs de sang, de sueur, de suif qui brûle ! Mais on n’a pas le temps de philosopher. Une autre porte s’ouvre… et on se retrouve sur l’esplanade que je voyais depuis notre trou. J’en profite pour respirer un grand coup. Et comme il fallait s’y attendre, on nous fait rentrer dans le prétoire. Là, je sens que je suis vraiment à la merci des occupants. Nous faire rentrer dans leur prétoire, pour nous, des juifs, c’est une souillure. Ils le savent bien ; mais pour des gars comme nous, ils s’en foutent complètement. Et puis, comme ça, ils sont sûrs qu’il n’y aura pas de compatriotes qui oseront entrer pour nous défendre. On nous pousse sur le côté. Il y a une barre scellée sur deux piquets bien ancrés dans le sol. On nous y attache les mains avec des cercles de ferraille si coupants qu’il ne vaut mieux pas se débattre ; ça nous entaillerait les poignets comme des rasoirs. Comme si on pouvait faire la belle… ! Je veux parler à l’Arnacas, mais dès que j’ouvre la bouche, le décurion pousse une gueulante et je reçois une énorme baffe du bidasse qui est à ma droite. En plein sur le pif qui se met à saigner, évidemment. A ce genre de manière, je sens les discussions avec le juge ne vont pas être très loquaces. Ça va être notre fête !

Mais ? qu’est-ce qui se passe tout d’un coup ? Qu’est-ce que c’est que ce boucan dehors ? On entend les braillantes de tout une populace, avec des bruits de ferraille, comme si ça se bagarrait. Ma parole, on dirait une émeute. Gare toute à l’heure ! si Ponce-Pilate déclenche son artillerie, ça va saigner. Je me rappelle, – il n’y a pas longtemps – quand un nommé Barabbas avait fait une émeute avec ses potes, ça a castagné dur. Et dès que les romanosses ont eut le dessus, malheur ! Ils n’ont pas fait de quartier.

Pourtant nos gardes ne bronchent pas. Bizarre !

Soudain, le décurion donne un ordre bref. Les troufions nous bottent les fesses pour nous faire redresser et se figent au garde-à-vous. Un officier entre. Je le reconnais tout de suite ; c’est Ponce-Pilate ! On l’a souvent vu se pavaner sur son char entouré d’une garde rutilante pour impressionner le peuple. Nous voilà face à lui. Je ne l’ai jamais vu d’aussi près. Il est sanglé dans un uniforme bourré de médailles. C’est sûr qu’avec ça, il veut nous en imposer. Eh bien ! non ! Il ne nous regarde même pas et sans s’arrêter, il sort sur l’esplanade ; la porte reste ouverte. Un peu d’air frais rentre. Ça fait du bien.

Dès qu’il est dehors le vacarme grossit. J’entends des gars parlementer avec lui mais, naturellement,  je ne comprends pas ce qu’ils se disent.

Tiens, le voilà qui rentre ! Derrière lui, deux gardes poussent un gars à qui ils ont ligoté les mains.

« Mais… mais c’est Jésus ! », que je susurre à l’oreille de l’Arnacas.

« Qui ça ? ».

« Jésus, je te dis ! ».

Il grogne : « Jésus, connais pas ! ».

Alors là, j’en suis éberlué. Je me dis : pourquoi amènent-ils Jésus à Pilate ? Qui peut bien faire cela ? L’autre jour ils l’acclamaient ; ils voulaient le faire roi. Maintenant, vu comme ils le traitent, les mains liées en le poussant et en le bourrant de ramponneaux, ce n’est pas des manières de faire. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien fricoter ?

Pilate fait signe à notre maton de nous faire sortir. Mais celui-ci lui montre que nous sommes fortement attachés à la barre. Alors le Ponce lui dit quelque chose en latin que veut sûrement lui dire “laisse tomber !”, car personne ne nous délie. En revanche, on nous met sur la tête un gros sac de jute qui pue le moisi, rien que pour qu’on ne voit pas ce qui va se passer…

Mais quand on voit pas, on écoute.

« Tu es le roi des juifs ?» dit Pilate.

Ah ! bon. Au moins le Ponce, il est comme moi. Pour qu’il lui pose la question, il se doute bien que Jésus est roi. Je n’entends pas tout leur baratin, sauf qu’à un moment, la voix de Jésus calmement mais clairement dit à Pilate :

« Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n’est pas d’ici ».

« Donc tu es roi ? »

« Tu le dis ! je suis roi et je ne suis né, je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix ».

Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? ».

J’avoue que je ne comprend pas grand chose, mais je suis impressionné par la voix calme de Jésus. Peut-être bien que Ponce-Pilate aussi, d’ailleurs, tant sa voix a l’air peu sure…

Peu après, j’entends des gueulantes de la populace qui est dehors. « Barabbas ! Barrabas ! ».

Je me demande ce que cela veut dire. Qu’est-ce que Barrabas vient faire là-dedans ? Brusquement je me rappelle que c’est bientôt la Pâque et que le procurateur va relâcher un prisonnier, comme c’est la coutume. J’aimerais bien qu’il ne m’oublie pas… Mais il est peut-être en train de leur mettre un marché en mains ; Jésus ou Barabbas. Mais vu que Barabbas s’est déjà fait avoir, il pense peut-être que ça sera plus facile de le repiquer une deuxième fois ; alors que Jésus…  mystère ! Il a dit que sa royauté n’est pas de ce monde. Qu’est-ce que ça veut dire ?

« S’ils relâchent le Barrabas, on a nos chances ! », grommelle l’Arnacas. Heureusement pour lui, nos gardes se sont un peu éloignés et ne l’ont pas entendu ; ils ne le tabassent pas.

Je m’enhardis à lui répondre : « Pourquoi relâcheraient-ils Barrabas ? Si c’est pour éviter la castagne, ça n’en prend pas le chemin. T’entend le raffut ? Ecoute-moi ce chambard. A mon avis, ça sent pas bon ! ».

« Ouais ! ».

« Mais pourquoi en ont-ils après ce pauvre Jésus ? Pourquoi lui en veulent-ils comme ça ? ».

« J’sais pas ! »

« A mon avis, ils sont en train de le dégommer pour qu’il ne soit pas roi ».

« Ah ! Ah ! Ah ! ricane l’Arnacas en sourdine. Roi de quoi ? Ah ! il est chouette ton roi. Allez ! arrête de me faire marrer. C’est un mec comme nous qui s’est fait poisser pour un coup qu’il a foiré. Malheur à lui, malheur à nous ! et voilà ! ».

« Il y a quelques jours, tout le monde l’acclamait comme fils de David. Je le sais bien. j’y étais. Or David était roi… ».

« David, roi ? coupe-t-il. Tout ça, c’est des vieux trucs. Les rabâcher, c’est les sornettes des rabbins. T’y crois encore à tous ces vieux racontars ? ».

J’ai la tête comme un chaudron. J’étouffe sous cette saloperie de sac. Un moment, je me laisse aller. J’essaie de faire le vide dans ma tête. D’ailleurs, je n’arrive pas à comprendre grand chose à tout ça. Pendant un moment je ne réalise plus rien. Puis j’entends des bruits de fouets et des gueulantes, comme des insultes. Je me dis qu’ils sont sans doute dans la petite turne à côté en train de tabasser quelqu’un. Est-ce Jésus… ?

Qu’est-ce que j’ai mal aux mains avec leur sales menottes ! Je voudrais bien m’asseoir, même par terre. Pas possible ! La barre est bien trop haute et quand je plie les jambes, ça me cisaille les poignets.

De nouveau, des bruits de pas qui vont et qui viennent. J’entends le souffle d’un gars qui passe pas loin de nous. Comme s’il avait couru un marathon. On dirait qu’il n’en peut plus, exténué…

Ah ! On ouvre certainement la porte sur l’extérieur car on sent un peu d’air frais. Ça fait du bien. Mais aussitôt les braillantes d’une cohue épouvantable…

« Crucifie-le ! Crucifie-le ! ».

Le sang me glace. De qui parlent-ils ? De Jésus ? Ils vont quand même pas crucifier Jésus. Un gars qui n’a rien fait de mal. S’ils n’en veulent pas comme roi, ils n’ont qu’à le foutre dehors. Mais au moins qu’ils lui foutent la paix ! Pourquoi le massacrer. Non ! Ce n’est pas possible ! j’espère que le grand romain ne va pas laisser faire ça. D’autant plus que s’il juge comme ça, je donne pas cher de notre peau…

« Eh ! ben ! dis donc ! Il est dans de beaux draps, ton Jésus ! », ironise l’Arnacas.

Je lui dis, agacé : « Tu crois qu’on est mieux loti que lui ? ».

Dehors la foule braille de plus belle. J’entends des “à mort ! à mort ! crucifie-le”, hurlé par un gars et repris en écho par la foule.

Une main brutale m’arrache le sac qu’on nous a mis sur la tête. Ouf ! un peu d’air !

Voilà Ponce-Pilate qui rentre en claquant la porte.

Il n’a pas l’air content ; il a même l’air bien embêté. Il s’assied sur un genre de petit siège mal foutu qui se croise les pattes. Lui aussi se les croise. A la romaine, quoi ! Il se tient le menton comme un gars qui réfléchit et qui se dit qu’il a fait une “connerie”. Personne n’ose lui parler. J’ai un frisson. Un frisson de frousse comme je n’en ai jamais eu. Au bout d’un petit moment, en nous montrant du doigt, le décurion se décide à l’aborder. Pilate grogne. Alors le sbire lui débite tout un baratin. En latin, naturellement ! Je ne connais pas le latin ; ou si peu. Je ne pige pas un mot de ce qu’il dit. D’ailleurs, le Ponce a l’air de s’en foutre complètement. Visiblement il est tracassé par je-ne-sais-quoi. Il ne nous regarde même pas. Ça ne dure pas longtemps. Quand l’officier a l’air de lui poser une question, il gueule un grand coup et d’un geste, pas équivoque, on comprend qu’il veut dire “ foutez-moi la paix et débarrassez-moi de tout ça “. Le décurion n’insiste pas, et donne des ordres à nos quatre malabars. Au milieu de son baratin j’entends le mot “crucif – quelque chose”. Je manque de tomber dans les pommes. Même en latin, ce mot se comprend sans traduire. J’en ai suffisamment pigé pour savoir que tout est foutu pour nous. Ils vont nous crucifier… Ah ! c’est le jour, aujourd’hui. Ils ne pensent qu’à ça : crucifier, crucifier… Je jette un coup d’œil à l’Arnacas. A voir sa gueule renfrognée et ses dents serrées, je vois bien qu’il a pigé, lui aussi. J’ai envie de gueuler, mais rien ne sort de mon gosier. On reste muet comme des carpes, la gorge bloquée par une boule. Malheur à nous !

Un de mes deux gardes démonte mes bracelets. Tellement brutalement que je crie : « Aïe ! ». Il en profite pour me refiler une beigne sur le médaillon. Salopard ! va !

On nous repousse dans la petite turne et on nous fait signe de nous asseoir. Par terre, c’est dégueulasse. Des taches de sang partout ! Je me cale dans un coin où a été jetée une grosse toile rouge. Je vois que c’est une chlamyde… Je me demande bien ce qu’elle fait là. Je m’assois dessus – c’est mieux que par terre – et j’essaye de me calmer. Pendant qu’on attend, je me dis quand même qu’il n’y a pas de justice. Crucifier les gens pour quelques rapines, il ne faut pas exagérer ! Je sais bien qu’il n’est pas joli-joli, mon job. Surtout quand on s’en prend à une petite vielle sans défense. Mais quand même ! Ça ne vaut pas la mort ! Ah ! quand on ne leur plait pas, ils ne s’embarrassent pas de beaux sentiments, les salopards ! Je tremble de froid et de peur. J’essaie de ne pas penser. Impossible ! J’ai la tête comme une citrouille. On dirait qu’elle va éclater. Tout compte fait, ça ne serait pas plus mal. On en finirait plus vite…

Par une petite lucarne, un peu de lumière entre dans la piaule. Le brouhaha, quoiqu’étouffé, aussi. L’Arnacas se tient la tête entre les deux mains. Il est aussi déglingué que moi. Et on attend…

Pas longtemps, car la porte s’ouvre de nouveau. Un des bidasses nous fait signe de nous lever. On sort sur l’esplanade. L’air est frais et je respire un grand coup. La foule grouille pire qu’un jour de marché. Ah ! si je n’étais pas pincé, ce serait un jour à se faire du beurre. Un souk pas possible ! Du gâteau pour un larron ! Il y a de tout là dedans. C’est même bizarre parce que d’habitude les pharischnocks et les gars de la haute ne se mêlent pas comme ça à la population. Là, ils sont tous ensemble. Et ça rigole et ça discute… En dehors de nos gardes, personne ne fait attention à nous. A droite là-bas un gros groupe est agglutiné. Par dessus les têtes je vois une croix qui brinqueballe comme si on la chargeait sur un condamné chancelant. Encore un dont Ponce-Pilate se débarrasse ! Un instant, en pensant à ce que j’ai entendu dans le prétoire, je me dis que c’est peut-être Jésus. Nos soldats fendent la foule et nous poussent près du groupe. Eh ! oui ! Il n’y a pas de doute : c’est bien Jésus. Et dans quel état ! Ah ! le pauvre gars ! On voit que lui aussi, ils l’ont passé à tabac. Et puis, qu’est-ce qu’ils lui ont foutu sur la tête ? Comme un turban fait avec des épines ! Comme une couronne, quoi !  Ah ! je vois ! En plus, ils se paient sa tête… Les épines lui bouffent le crâne. Il saigne de partout. C’est l’horreur.

Mais je n’ai pas le temps de le voir beaucoup. A côté du troupeau qui s’occupe de lui, il y a deux poutres par terre. Mes deux malabars me poussent vers l’une d’elle, la soulèvent et me la collent sur l’épaule droite. Aïe ! ce qu’elle est lourde, la vache ! Moi qui ai toujours été plus agile que costaud, je manque de dégringoler. En plus, elle est pleine de nœuds et rugueuse comme une râpe à bois ! Elle me laboure l’omoplate. J’arrive à trouver une position où elle ne me fait pas trop mal. Avec une corde, ils me ligotent les poignets sur cette saloperie. Comme si je pouvais me barrer !

Derrière moi j’entends l’Arnacas qui jure et qui engueule ses préposés. Perdu pour perdu, il tire sa dernière flèche, ne fut-ce que pour se détendre les nerfs. Ça ne dure pas longtemps car, tout d’un coup, je ne l’entends plus. Un gros cochon l’a injurié en latin et a dû lui clouer le bec…

Autour de nous, toute la cohorte est au spectacle… Un centurion prend le commandement de l’”opération”… Il gueule très fort et engueule tout le monde…

Ça y est ! On démarre. Je ne sais pas où ils nous emmènent. Tout compte fait, il vaudrait mieux que ça ne soit pas trop loin parce qu’avec un pareil chargement, je sens que je ne tiendrai pas le coup longtemps. J’ai très mal au cou…

Jésus est devant nous. En levant un peu la tête pour changer de position, je vois sa croix qui dépasse de la foule qui l’enserre de partout. On marche lentement. Les hurlements me cassent les oreilles. J’essaie de ne pas penser…

Tout à coup, une grande clameur surpasse les hurlements ! J’essaie de voir. Plus de croix de Jésus ! Je comprends qu’il vient de se casser la figure… Je profite de cet arrêt pour respirer un grand coup. Souffler un peu. Ah ! ça y est ! il s’est relevé… On redémarre…

Le bruit est moins fort maintenant. Je distingue un groupe de femmes, là devant. Ça me rappelle que quand on mènent au supplice des condamnés, il y a toujours quelques braves filles qui se dévouent à leur donner à boire. Tout compte fait, les femmes sont quand même moins brutes que les hommes. Elles ont plus de cœur. Je crève de soif. Si elles pouvaient penser à moi !

Les soldats qui mènent Jésus accrochent un gars, un grand costaud qui porte une houe sur l’épaule. Ça discute ferme ! Mais pas longtemps parce qu’ils lui confisquent sa houe et le forcent à aider Jésus. Encore un à qui on a pas demandé son avis !

Et on repart. Et on s’arrête. Le bruit tombe d’un coup. Les gens se sont arrêtés comme si quelque chose les étonnait. Malgré l’encombrement, je vois une jeune femme, tout près de Jésus. Je ne sais pas ce qu’elle lui fait. Elle lui donne peut-être à boire. Toujours est-il qu’on la laisse faire.

Mais nos sbires ne font pas longtemps de sentiment. Allez ! Allez ! il faut que ça marche !

Et on repart. Et encore un grand hurlement ! C’est Jésus qui vient de retomber…

« Alors ! Simon ! qu’est-ce que tu fous ? ». C’est le grand costaud qui se fait engueuler…

Pendant cette petite pause, une femme s’approche de moi et me donne à boire. Mes sbires qui regardent Jésus la laissent faire. J’ai tellement soif et je bois si goulûment que je m’étrangle. Bonne pâte, elle m’essuie la bouche et me redonne à boire.

Les femmes sont maintenant de plus en plus nombreuses autour de nous. Il y en a beaucoup qui pleurent en regardant passer Jésus, comme à un enterrement, sauf qu’elles ne poussent pas de youyou… A un moment, Jésus s’arrête et leur dit quelque chose que j’entends mal. Je comprends qu’il leur dit : « Ne pleurez pas sur moi… ». Pourtant il n’est pas à la noce, le pauvre !… Nous non plus d’ailleurs !

Et on repart. Je commence vraiment à n’en plus pouvoir. Bon sang ! qu’elle est lourde cette foutue poutre. Elle m’ankylose tellement l’épaule que je ne sens même plus ma main droite. Et encore, moi je ne porte que la poutre…  Mais, si j’ai bien vu, Jésus, lui, en plus, il porte même le pilier…

Je titube de plus en plus. On sort par une porte de la ville. Elle n’est pas bien large et je cogne ma poutre contre un de ses murs. Aïe ! Aïe ! Je ressens une douleur dans l’épaule comme si j’avais reçu un pavé. J’ai la tête tellement pleine et vide à la fois, que je n’arrive même pas à reconnaître où nous sommes… Pourtant, Dieu sait si je connais Jérusalem…

Re-hurlement ! Non, ce n’est pas vrai ! Mais si ! C’est encore Jésus qui vient de retomber. Je manque d’en faire autant. Je reprends mon souffle pendant qu’on l’aide à se relever. Je regarde autour de moi pour essayer de me repérer. Ah, oui ! Je vois. On arrive près du Golgotha.

Un frisson d’horreur me parcourt. Je me rappelle que je n’aimais pas fréquenter cet endroit, car on y voyait souvent des crucifiés. Le spectacle me faisait vomir. On est sensible ou on ne l’est pas. Mais je n’avais jamais pensé qu’un jour, ce serait mon tour. D’un seul coup, je ne vois plus rien. Je suis ébloui. Sentant que je vais tomber, je pointe ma poutre vers le sol qu’elle heurte brutalement. Cassé en deux, j’essaie de récupérer un peu. Un de mes gorilles me cingle le dos avec un nerf de bœuf. Mais je suis tellement crevé que je ne bronche pas ! Il n’insiste pas. Il a sans doute la frousse que si je dégringole, il va être obligé de mettre la main à la pâte…

J’entends partout des soldats qui hurlent : « Debout ! Debout ! ». C’est surtout après Jésus, qu’ils s’affairent… Mes gardes relèvent ma poutre… et moi avec… On marche encore un peu et on se dirige droit vers un monticule ; et je repère aussitôt un endroit où trois trous ont été creusés. La tête me tourne…

Le centurion pousse une grande gueulante. Tout le monde s’arrête. Pas de doute ! C’est bien là le terminus. Les soldats crient aux badauds de s’éloigner un peu. Avec leurs pilums à l’horizontale, ils repoussent doucement les femmes. Le grand costaud qui aidait Jésus en profite pour s’éclipser. Pas fou, tiens !…  A sa place j’en ferais autant.

Pendant un petit moment, on ne s’occupe pas de moi. J’ai toujours les poignets liés à mon madrier. Les bras à l’horizontale, ce n’est pas confortable… Même pas moyen de se frotter la figure qui me démange comme si une fourmilière m’avait envahi la barbe.

Maintenant je vois Jésus de près. Méconnaissable ! Ah ! où est-il, le beau gars que la foule acclamait il y a quelques jours. Debout, le souffle court, il regarde vers le ciel. Il ne dit rien, il ne proteste pas ; on dirait qu’il n’en veut même pas aux pervers qui le maltraitent, alors qu’ils savent qu’il ne peut pas réagir. Ah ! ils ont la partie belle ; ils ne courent pas grand risque, ces faux-jetons. Cela m’écœure.

Deux soldats, sans ménagement commencent à le déshabiller. En plusieurs endroits je vois le sang couler des plaies récentes qui se rouvrent. Ah ! les vaches ! on voit qu’iIs l’ont flagellé à mort. Et lui, résigné, ne dit toujours rien. Même pas un cri de douleur ! Il a le souffle haletant. Plus je le regarde, moins je pense à moi ; un moment même, j’ai l’impression de ne plus rien sentir, de ne plus avoir mal…  L’ankylose ?

Pendant un bout de temps, je reste là, hébété, ne comprenant rien, ne réfléchissant à rien, complètement vide. L’Arnacas se met à hurler. Cela me réveille un peu. Ils sont en train de soulever sa poutre qu’ils ont liée à l’extrémité d’une autre qui sert de pilier. En tirant sur des cordes ils dressent sa croix. Pendu par les bras, il ballote comme un pantin jusqu’au moment où, la croix à la verticale, son dos en heurte violemment le tronc. Abasourdi par le choc, il reste muet. Je me dis qu’il est tombé dans les pommes…

Je sens tout à coup comme un bélier qu’on me pousse entre les omoplates. A mon tour maintenant ! Comme je ne peux pas me retourner, je ne vois rien. Mais je comprends qu’ils sont en train de faire la même chose à ma poutre. Sans ménagement, je sens des mains qui passent et repassent une corde râpeuse. « Attachez moi ça solidement, dit un gars en rigolant, parce que si cela se casse la gueule, vous êtes bon pour recommencer et payer la tournée générale ».

Brusquement, je me sens partir en arrière et me soulever de terre. Une douleur atroce se déclenche dans mes épaules. J’ai à peine le temps de la ressentir que mon dos heurte brutalement le pilier de ma croix quand elle arrive à la verticale. Je veux hurler, mais j’ai tellement mal et le souffle si court que rien ne sort de ma bouche. Un instant, un voile passe devant mes yeux. Le noir !

Puis petit à petit, la vue me revient. Je suis pendu à deux hauteurs d’homme au dessus de terre. Mon corps tire atrocement sur mes poignets. Jamais je n’aurais pensé que je pesais si lourd. Puis, je commence à ne plus rien sentir dans mes bras sinon une atroce impression de froid. C’est sûr ! Le sang n’y monte plus… J’ai de plus en plus de mal à respirer… et quand j’essaie d’inspirer un peu fort, mes épaules me font horriblement souffrir…

Evidemment, de là-haut je domine la situation. Mais quelle situation !

La grande croix que Jésus portait est maintenant par terre. Elle est immense. Incroyable ! A côté d’elle, ma poutre doit faire figure de baliveau. Ils sont plusieurs soldats à s’affairer autour d’elle. Il y en a un qui cloue un écriteau, mais comme je ne sais pas bien lire, je me demande ce qu’ils peuvent bien y avoir inscrit…

Le centurion pousse une gueulante. Une de plus ! D’ailleurs c’est à croire qu’il ne sait pas parler autrement, ce type là. Jésus s’agenouille et se couche sur la croix. Docilement ! Pas un geste de révolte ! Pas une injure ! C’est vraiment un gars extraordinaire.

En s’agenouillant, la couronne d’épines tombe de sa tête. Eh bien ! qu’est-ce que vous croyez ? il y a un de ces pervers qui la lui recolle sur le crâne, et brutalement encore. Ecœurant !

Maintenant ils sont quatre dessus, un à chaque main et un à chaque pied. Un gros cinquième, qui a des bras de forgeron, arrive avec une massette et des gros clous longs comme un demi avant-bras. J’ai les yeux qui se brouillent. Non ! ils ne vont pas faire ça. Pas le clouer, quand même ! Les crucifiés sont ligotés, pendus, mais pas cloués comme les cadavres d’oiseaux dans les champs pour faire fuir les autres…  Je voudrais hurler pour les injurier tous, mais aucun son ne sort de mon gosier desséché… Ah ! ce que je ai soif !

Et le gros, sans complexe, commence son horrible besogne. Le sang de Jésus coule de ses poignets… Atroce ! Je ferme les yeux devant tant d’horreur. Je ne veux plus les ouvrir. Mais j’entends les coups de masse qui  battent, au milieu des cris et des rigolades des badauds. Alors là, c’est trop fort. Non seulement il y a des dépravés pour faire des choses si atroces, mais en plus, il y en a qui trouve ça marrant. Mais qui peut faire ça ? Je ne peux m’empêcher de rouvrir les yeux… Ah ! c’est du beau monde ! du distingué, du bien habillé et tout et tout ! Des pharisiens, des scribes, des lévites et même des prêtres, tous des messieurs qu’on croit très bien et qui aiment montrer qu’ils sont mieux que les autres… et faire la leçon… Et ils n’ont pas honte de se moquer d’un pauvre gars qui va mourir… Vraiment, ils n’ont aucune pitié.

Je me mets à penser qu’ils ont la réaction de gens qui ont tellement eu peur pour leur propre situation qu’ils se défoulent sordidement. Comme si Jésus voulait leur piquer leur place ! Il faut dire que quand le peuple l’acclamait l’autre jour, il aurait peut-être pu prendre le pouvoir… à la place d’Hérode…  je délire…

Maintenant ils dressent la croix de Jésus. Ils se mettent à huit pour la placer tellement elle est grande et lourde. Ah ! ils ne lui ont pas fait de cadeau. On voit bien qu’elle n’est pas en peuplier. C’est incroyable qu’il ait pu porter un truc pareil…  Ils la calent au pied avec des gros moellons… Ça y est ! Ils ont fini…

Les soldats s’éloignent et emportent ses vêtements. Les beaux messieurs continuent leurs invectives, en se moquant de lui. « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu… ».

Le “Messie de Dieu” ? Le “roi dont le royaume n’est pas de ce monde” ? Et toutes les merveilles qu’il a faites ? Le guitcheux qui voit ; peut-être bien qu’il est en train de nous regarder. Tout cela me trotte dans la tête… ma pauvre tête…

Tiens ! mais qu’est-ce qui se passe ! D’un seul coup, tout devient noir, comme si le soleil s’éteignait. Je dois perdre la vue. Vais-je devenir aveugle avant de mourir ? Non ! certains allument des torches. Je les vois bien ces lumières dérisoires qui vacillent. Je tremble de frousse… ou de fièvre… ou de froid… Mais qu’est-ce qui peut bien provoquer des ténèbres pareilles ? Et tout le monde en est soudain impressionné parce qu’on n’entend plus un bruit…

Je commence vraiment à perdre le souffle. Je vais mourir asphyxié… Je le sens. Je n’en peux plus. Des tas d’idées me trottent dans la tête. Maintenant une foule énorme nous entoure, à quelques pas de nos croix. Elle reste là, silencieuse, comme abasourdie. Elle contraste avec les quelques braillards qui invectivaient Jésus, il y a peu de temps… Devant elle, il y a un petit groupe au pied de la croix de Jésus, dont une femme qui ne cesse de fixer son regard sur lui. Son visage éplorée est néanmoins digne, calme, résigné, comme si elle voulait le soutenir, l’encourager jusqu’au bout.

« Femme, voici ton fils », lui dit Jésus ; et au jeune homme qui est près d’elle, il dit : « Voici ta mère ». Alors, je comprends tout d’un coup que cette femme, c’est sa mère, la mère de Jésus. Pauvre mère ! Et Il l’a confie à un de ses bons copains. Dans son malheur, il pense encore aux autres. C’est beau tout de même !

Ah ! ma mère ! ma mère à moi, si tu voyais ton fils ! Mais, vu que je l’ai perdue quand j’avais à peine douze ans, il vaut mieux qu’elle ne soit pas là. Elle s’écroulerait de douleur, la malheureuse… Je la revois dans le petit quartier de ma jeunesse. La maison, qu’elle arrangeait, bien propre, la bonne nourriture qu’elle nous cuisinait… le père qui m’engueulait parce que je ne fichais rien pendant qu’il trimait comme un malheureux, le quartier, les copains, la synagogue, le vieux rabbin qui nous débitait des histoires de Yahvé et qui voulait qu’on apprenne des psaumes par cœur… Ah ! les psaumes ! C’est tout de même beau les psaumes ! Tiens ! il y en a un qui me revient : « Regarde-moi, Seigneur, et prends pitié de moi, car je suis seul et misérable ; vois ma misère et ma peine… »…

Je regarde Jésus. Mais,… mais il me regarde. Il me regarde, lui aussi. Son regard est doux. On dirait qu’il compatit, comme s’il voulait me donner du courage… Pourtant, le malheureux, il est pas mieux loti que moi. Il me regarde… fixement…

J’entends l’Arnacas crier : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi même et nous aussi ». Alors là, ç’en est trop ! Lui aussi s’en prend à Jésus ? Ecœuré, je lui rétorque : « Tu n’as même pas crainte de Dieu, toi qui subit la même peine ! Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes ; mais lui n’a rien fait de mal ». Mais Jésus, lui, ne proteste pas. Le silence tombe. Je le regarde encore. Et Il me regarde toujours. Son regard est pénétrant, réconfortant. Alors, fixant mes yeux sur les siens, je m’enhardis… et j’ose lui parler : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne ». Il me répond : « En vérité, je te le déclare : aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis ».

 

Ì

 

O toi, larron, pécheur qui tirait bénéfice

En ta vie tourmentée, d’agissements de voleur

Tu te souciais fort peu de porter préjudice

En cherchant l’occasion d’escroquer un rêveur.

 

Cependant condamné, tu marchas au supplice

Sur les pas chancelants de notre Dieu Sauveur,

Et tu sus distinguer où était la justice

Malgré l’infamie de votre commun malheur.

Ne connaissant Jésus qu’à travers les rumeurs

Tu osas te confier à Lui sans autre indice

Et ta foi aussitôt t’en découvrit le cœur.

Tu nous montres par là qu’au delà de nos vices

Un regard sur Jésus, à notre dernière heure Nous offre le salut de son saint Sacrifice.

Bords de Seine

L’automne au matin rouge embrase la cité
Que le ciel gris surplombe de son opacité.
L’univers concentré des tours de la Défense
Sur les éclats du verre paraît encore plus dense.

L’humanité s’enfonce, se noie dans le dédale
Ne pensant qu’à l’argent, au travail, aux affaires,
Et les rares détentes que lui offre la dalle
Ne la distrait que peu de la lourde atmosphère.

L’homme même oublia d’y fabriquer un port ;
Alors, calme et sereine, la Seine coule et ignore
Le terne écrasement des hautes tours gigognes.

Et du pont de Puteaux, en comparant ses bords
J’aime mieux, quant à moi, je le dis sans vergogne
Malgré ses airs factices, le vieux Bois de Boulogne.

La Présidence

France ! mon grand pays, en ces temps agités
Qui mérite l’honneur de te représenter ?
De toi, quelle est l’image que perçoit l’étranger ?
Et qu’en peut-on juger de ta moralité ?

Sommes-nous revenus trois siècles en arrière
Pour parer l’Elysée de mœurs putassières,
Faire payer par l’impôt leurs charges pécuniaires
Et s’exhiber ainsi au dehors des frontières ?

Ne discernes-tu pas quelques regards obliques
Trop polis, trop courtois, beaucoup trop politiques
Lorsque la présidence de notre République
Se montre en son état, ignorant les critiques ?

Ne te ressens-tu pas quelque peu bafouée
Quand, faisant sous couvert de la moralité
Elle décide de lois, dites « modernité »
Aux relents de Sodome, de Gomorrhe, du passé ?

Ton honneur est le nôtre. Ton peuple et ta nation
Veulent ne plus souffrir de ces exhibitions.
Peu importe le sexe assurant la fonction
Du moment qu’il est autre que son compagnon.

L’union enregistrée selon loi de nature
Et du Code Civil suivant la procédure
Doit assurer au rôle la plus haute stature
Et à la présidence enfin noble figure.

France, mon beau pays, pour ta restauration
Pour fixer l’avenir de ton plus beau fleuron
Je veux que le statut de cette Institution
Soit gravé dans l’airain de la Constitution.

 

Annonciation

Vierge, ô pureté du monde d’origine
Ecoute la mission de ton Dieu Créateur
Reçois en ton corps pur sa nature divine
Bénis son Nom sacré : c’est Jésus, le Sauveur.

Est-il concevable que l’Auteur de la Vie
Fasse changer en moi sa Loi de Création ?
Ainsi, puisque mon corps ne connaît de mari
Il y a grand mystère à sa fécondation ?

Tais en Toi, ô Marie, ta question féminine.
Car rien n’est impossible au Seigneur dans l’action
Hors de l’âge, ne fait-il enfanter ta cousine ?

Alors, pour que sa grâce, puisque Dieu m’a choisie
Intervienne en mon sein, j’en accepte le don.
Retourne, Gabriel ! Rapporte-Lui mon « oui ».

Réconciliation

Deux frères orphelins héritèrent de leur père.
L’ainé intelligent, mais fort célibataire
Prit soin de s’assurer, et ce, devant notaire
De la gestion des biens de son très jeune frère.
Ce n’était que service et devoir de le faire.
Il assura ainsi le mieux de ses affaires.
Il arrivait parfois que quelques rouspétances
Vinrent un peu s’opposer à sa bonne gérance.
Mais qui ne passe jamais crise d’adolescence ?
L’ainé jugeait cela de fort peu d’importance.

Il advint, un matin, qu’au sortir du cimetière
Il eut à présenter ses quittances à Saint Pierre.
L’Apôtre se tenait devant le grand portail
Qui sépare les lieux de la sérénité :
Ce côté, c’est le Temps, l’autre l’Eternité.
Notre âme remarqua, entre autres ce détail
Que l’huis était bloqué par de nombreux verrous.
Il était bien facile d’en comprendre le but
Car il y voyait bien et ses fautes et ses chutes,
Et plein d’humilité il tomba à genoux.

« Vous êtes dans le Temps que le Mal n’atteint plus »
Dit le Grand Confesseur, doux et compatissant,
Expliquant sans détour à notre pénitent
Qu’il est vain de scruter des raisons superflues
Et chercher des excuses à ses comportements.
« Car, pour se présenter devant le Tout-Puissant
Il faut être en état de parfaite pureté.
Tout en vous rappelant ma mission pastorale
Je me dois de juger moins de bien et de mal
Que de vrai repentir, tout de sincérité ».

Notre âme commença, pensant à sa richesse
A chercher ses péchés comme on fait à confesse.
Elle se rendit compte que la chose était vaine ;
Saint Pierre savait tout y compris ses fredaines.
Elle répondit alors du tréfonds de son cœur
En toute honnêteté, y trouvant son honneur
Aux questions qu’Il posait. Et la clef du grand Saint
Voyant sa loyauté ouvrit une serrure.
Consolée, fortifiée par la douce mesure
Elle remercia le Ciel d’en sentir si grand bien.

Aveu, remords, oubli, et la prière aussi
Firent tant de bons effets que petit à petit
Les clefs du bon Saint Pierre ouvraient d’une main forte
Les solides serrures qui entravaient la porte.
Parfois pour un péché, il semblait manifeste
Que le temps se devait d’encore un peu blanchir
La pureté de l’âme trop prompte à se couvrir.
L’espace d’un instant, le Grand Saint hésitait,
Mais en venant du Haut une brise céleste
Soufflait : « Miséricorde », et le verrou sautait.

La Porte s’éclaira, déjà prête à la fête
Quand un dernier loquet résista fermement.
Un tout petit loquet, une simple targette
Que, sur terre, la forcer serait un jeu d’enfant.
Le regardant de près, notre âme remarqua
Que Saint Pierre n’avait pas de crochet pour l’ouvrir.
Et le visage triste, l’Apôtre de lui dire
Que quelqu’un de la Terre bloquait ce verrou-là.
« Un homme n’est pas prêt à donner son feu vert
A votre entrée au Ciel. Cet homme ? C’est votre frère ».

« Mon frère ? Est-ce possible ? Je lui ai tout donné
Afin de le pourvoir des meilleurs avantages.
Mon travail, mon savoir, mes conseils, mes veillées…
Et aujourd’hui encore, il a mon héritage…
Je suis bouleversé de tant d’ingratitude ».
« Oui, mais il vous reproche avec juste raison
D’avoir trop abusé de la subrogation.
Négligeant le principe de subsidiarité
Et, minimisant trop ses propres facultés
Vous l’en avez privé de toute latitude ».

« Il est vrai que j’ai pris beaucoup d’initiatives
Qu’il aurait, à sa guise, gérées d’autre manière.
Mais ne peut-il céans pardonner mes dérives ?
Faut-il lui demander de taire sa colère ? »
« Lui, il est dans le Temps que le Mal peut atteindre.
Et d’ici, nul ne peut obliger et contraindre ».
« Alors est-il possible qu’il cherche à se venger ? »
« Oserais-je l’audace de cette métaphore
Mais quand la chantilly prend le goût de roquefort
Le dégout, tant qu’on peut, on l’impute au crémier… ».

« Dites-moi, bon Saint Pierre, la bonté, le pardon
Sont nécessaires à la réconciliation ?
Or, faut-il que mon frère néglige ces leçons… »
« Mais pourquoi voulez-vous chapitrer votre frère
Sur ce qu’auparavant vous auriez dû faire ?
Car, en fermant les yeux, sur vos agissements
Tout en demeurant sourd à ses avertissements
Quand près de lui étiez encore en communion,
Vous n’avez pas chercher à vous réconcilier.
Aujourd’hui, il vous faut patienter et prier ».

-o-

Evitons de garder en nous quelques rancœurs
Au sujet de nos frères aujourd’hui disparus.
Ce faisant, nous freinons leur accès au Bonheur.
C’est inintelligent, vain et faux, superflu.
Gardons en notre cœur ce qu’ils ont fait de bien
Et restons auprès d’eux en Communion des Saints.